Mon métier en télétravail - Émilie, Éducatrice spécialisée
Emilie Stercklen est éducatrice spécialisée au CMPRO Bellevue à Blaye les Mines (81). Maman de 4 enfants, et en télétravail elle relève le challenge de mener de front vie familiale et vie professionnelle. Témoignage.
Comment vous êtes-vous organisée ?
À vrai dire, mon organisation n’est pas encore tout à fait optimale !
En fait, les choses sont un peu plus compliquées lorsque quatre enfants se trouvent dans l'équipage ! Une grande famille de 6 avec des âges bien différents, un groupe hétérogène finalement (15, 14, 9 et 2 ans et demi).
Mon compagnon est auto entrepreneur et a restreint son activité professionnelle pour me soutenir. Une grosse étape « organisationnelle »...sur tous les points.
Le plus grand challenge est de parvenir à répartir les différents temps qui rythment nos journées : le temps consacré à l’école pour nos enfants, l’activité professionnelle de mon compagnon, mes missions professionnelles, les repas, le rangement, le ménage, les lessives, les imprévus…
Et essayer autant que possible de maintenir quelques loisirs et notamment les balades (dans notre grand jardin), mais pour cela nous manquons souvent de temps, hèlàs !
Nous avons fait le choix de limiter le plus possible l’activité professionnelle de mon compagnon pour que je puisse assurer mon travail correctement. Nous essayons de trouver un équilibre en se répartissant les tâches, il reste, le plus présent auprès de nos enfants. Néanmoins, pour les enfants, il est difficile de comprendre que maman est à la maison physiquement, mais son esprit et ses actions sont consacrés à son travail.
La première semaine a été la plus compliquée en terme d'organisation. La mise en place du télétravail et l'appropriation des différents outils m'a pris du temps. L'organisation des différentes actions sur la journée et l'anticipation de la semaine sont des travaux fastidieux.
On peut rapidement se sentir submergée. L'écriture de nos missions représente également un exercice qui nous demande de la précision et du temps.
Aujourd’hui, cloisonner ma vie familiale et ma vie professionnelle est clairement impossible malgré tous les aménagements réalisés et le fait que je dispose d’un espace de travail bien défini. Je suis relativement et souvent sollicité par l’un ou l’autre.
Au final, on se trouve dans une situation, à mon sens, un peu paradoxale : le confinement nous offre plus de temps mais le télétravail nous en demande plus. Cependant, grâce à la disponibilité de mon compagnon et l'entraide de mes collègues je parviens à planifier mes objectifs en priorisant les besoins des jeunes.
Comment gardez-vous le lien avec votre hiérarchie, vos collègues, les personnes accompagnées, les familles ?
J’ai la possibilité de contacter facilement ma hiérarchie par téléphone ou par mail.
Ils se rendent disponibles et répondent rapidement. Je suis régulièrement en lien téléphonique avec mon chef de service qui organise des réunions d’équipe en téléconférence. L’équipe de direction se montre également très disponible, nous bénéficions d'un réel soutien et face à ce paradoxe d’isolement nous sommes pas seuls et bien entourés.
J'entretien aussi un lien téléphonique régulier avec les jeunes que j'accompagne et leur famille. Afin d’anticiper au mieux les actions à réaliser, avec mon binôme de travail, nous établissons un planning à chaque fin de semaine. De cette manière, nous maintenons une dynamique de travail essentielle à la situation. J’ai la chance de faire partie d’une équipe formidable autant sur le plan humain que professionnel.
Notre organisation de travail et l’accompagnement bienveillant de notre chef de service nous facilite la lisibilité sur les situations de travail. Les outils que nous utilisons aujourd’hui, favorisent nos échanges. Face à cela deux difficultés s’en dégagent : l'une étant de ne pas les maîtriser et l'autre réside dans le fait d’utiliser nos outils personnels (ordinateur, téléphone...).
De plus, les problèmes de connexions au réseau informatiques sont des freins à notre accompagnement. Face à cette urgence nous avons dû faire preuve de réactivité. L’association à su pleinement assumer son rôle pour nous mettre en sécurité sanitaire, nous nous devions de tout mettre en œuvre pour poursuivre l’accompagnement de nos jeunes.
De qu'elle façon vous assurez votre travail avec les personnes accompagnées ?
[Réponse collégiale de l'équipe éducative du groupe G]
Pour ce qui est de mon travail auprès des personnes accompagnées, je le mène et le pense en équipe. C'est pour cette raison que je ne peux répondre à cette question sans la concertation de mon équipe, je reste en lien constant avec mes collègues de travail.
Nous formons une équipe de 4 femmes, réparties en binôme sur deux groupes. En ce temps de confinement, nous avons créé un groupe de communication whattsapp sur lequel nous échangeons sur diverses situations liées aux jeunes et/ou à nos projets d'activités éducatives.
De plus, nous réalisons des conférences téléphoniques régulières afin de mettre en lien nos projets, nos envies vis à vis de tel jeune, et nous évaluons ensemble la faisabilité. Je ne me suis jamais senti autant entourée qu'en cette période confinée. Notre équipe a toujours été très soudée et bienveillante mais elle l'est encore plus aujourd'hui.
Dans le travail auprès des jeunes, nous exprimons plus de difficultés à entrevoir les enjeux de notre travail éducatif. Ensemble et toujours en équipe, nous essayons autant que possible de proposer aux jeunes des actions en lien avec les projets de groupes que nous menons durant l'année auprès d'eux. Toutefois, dans ce contexte, il nous paraît difficile d'imposer des choses.
Nous avons fait le choix, d'axer nos actions sur de la proposition, en s'adaptant au rythme et aux compétences de chacun et en y associant la famille. Nous utilisons divers supports, mail, vidéo, photo, jeux en réseau (sur des horaires bien précis)...nous essayons de maintenir une dynamique de groupe et d'être à l'écoute de chacun.
Aussi, nous prenons le temps de faire des entretiens téléphoniques plusieurs fois par semaine et nous leur préparons des activités éducatives (en fonction des besoins individuel), que nous recherchons sur internet ; Pinterest est notre grand allié en ces temps difficiles ! Rapidement,des visites à domicile avec protocole, vont être mise en place afin de renforcer notre accompagnement auprès de certains jeunes qui ont besoin de « nous voir », pour lesquels le contact téléphonique n'est pas suffisant..
En fait, nous veillons surtout à ce que le jeune puisse traverser cette période « inédite » le plus sereinement possible, en lui permettant notamment de mettre des mots dessus, d'échanger avec les éducatrices et éducateurs qu'il connaît et de lui proposer des « activités » pour s'occuper, pour ne pas perdre le lien.
Qu’est-ce que cela a changé pour vous ?
Notre quotidien a été bousculé assez brutalement et nous nous sentons encore déstabilisé. Ce nouveau fonctionnement est venu modifier notre organisation de vie personnelle, et lorsque l’on vit à 6, cela modifie 6 organisations.
Tout est à repenser, reconstruire !! Je suis passée par plusieurs étapes avant et après ma prise de poste en télétravail.
En premier lieu, l'impatience de découvrir ce nouveau dispositif et, avoir la possibilité de reprendre contact avec les jeunes et l’équipe, un semblant de retour à une vie sociale. Puis, dans un second temps, est venu le questionnement sur cette nouvelle façon d’accompagner. Comment être au plus près du jeune malgré la distance physique ?
Nous nous efforçons d'y répondre au quotidien...Mais, la grande question résidatit dans le fait du comment j'allais bien pouvoir allier vie familiale et professionnelle ? Je dirais qu'en l'état actuel des choses, notre quotidien a nettement changé professionnellement et personnellement.
Le gros point noir revient au personnel. De plus, la nécessité d’alléger massivement le planning de mon compagnon a eu des répercussions sur le budget familial. Professionnellement : le manque de temps est le point noir bis. L’accompagnement éducatif d’un jeune à distance est pour moi nouveau, et questionnant. J'essaie de m'approprier au mieux les supports pour parvenir à les exploiter convenablement. Je garde espoir de pouvoir rapidement exercer à nouveau ma véritable fonction, celle avec un réel contact humain.
Finalement, je dirai qu'on se sent ni là..., ni ici... ! Des mots pour exprimer ce sentiment de culpabilité qui m'habite ; je suis absente ou pas complètement présente, autant auprès de mes enfants que les jeunes que j’accompagne. Mais par chance, le soutien de mes proches et autant de mes collègues, m'aide à penser les choses différemment.
Et ce, pour tenter de trouver un nouvel équilibre tant professionnellement que personnellement.
La positivité ou la négativité, peu importe, elle oscille, l'importance c'est l'acceptation pour avancer. Maintenant j’attends la prochaine étape... le prochain changement,...patience et adaptation sont de mises...