Journée nationale des MAS-FAM : c'est parti !
A l'occasion de la Journée Nationale 2021 des MAS-FAM, Patrick Tariol, directeur adjoint du Centre ASEI Auguste Valats de Siradan (65) et Sandrine Turbet-Delof, directrice du Pôle Adultes 31/32 de l'APF, ont eu l'occasion d'animer un atelier ayant pour thème : "Soutenir les souhaits et désirs de la personne accompagnée, mais comment décrypter ?"
Depuis la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, la place de l’usager a été remise au centre de nos actions.
Il s’agissait alors de s’éloigner d’une logique d’infantilisation et de placer l’usager en tant qu’acteur et citoyen, apte à donner son avis sur ce qui lui est proposé en matière de soins comme d’accompagnement. Les Conseils de la Vie Sociale en sont la partie émergée.
Il ne parle pas … mais communique !
Suffit-il d’échanger avec les familles, les membres du personnel, les partenaires de la Maison d’Accueil spécialisée ? Et pourquoi pas avec les personnes accompagnées
Oui, mais comment interroger les résidents lorsqu’on sait que la grande majorité d’entre eux n’ont pas l’usage de la parole ? A la MAS Auguste VALATS de l’Association ASEI, nous avons dû apprendre la communication non verbale, mais pour certains d’entre eux, elle se réduit à un geste, une mimique, une vocalise, un sourire ou des pleurs. Il nous a aussi fallu apprendre à observer, écouter.
Être à l’écoute des besoins, des désirs, mais aussi des souffrances de chacune et chacun ; puis adapter nos réponses en fonction des capacités et des difficultés de chacun.
Il parait aisé de répondre lorsque les besoins sont clairement exprimés, mais la plupart du temps, il s’agit pour nous de décrypter, décoder, interpréter, en étant jamais certain que notre interprétation soit tout à fait exacte et notre réponse tout à fait adaptée.
Yvan a 56 ans ; rupture d’anévrisme à l’âge de 46 ans, qui a entrainé une tétraplégie avec une récupération très partielle du côté gauche. Aujourd’hui, Yvan reste très dépendant pour tous les gestes de la vie courante (se laver, s’habiller…), il se nourrit par voie parentérale, et se déplace sur des petits trajets grâce à son fauteuil roulant électrique.
Yvan est très diminué psychiquement, et son mode de communication est non verbal, limité aux froncements de sourcils, grimaces, mouvements de tête…
Recueillir, comprendre et favoriser son expression nous demande non seulement de l’écouter et de l’observer, mais aussi et surtout d’être attentif à notre attitude face à ses comportements.
Et même en étant vigilants, nous sommes conscients que la parole de la personne accompagnée restituée n’est pas certaine à 100%. Lorsque nous posons des questions, aussi claires nous paraissent-elles, nous essayons de ne pas suggérer ou induire la réponse, et cela reste difficile à éviter car ces questions nous permettent également de démarrer l’échange. Pour autant, les réponses d’Yvan nous paraissent claires.
La famille, un partenaire particulier.
Être parent d’une personne lourdement handicapée renforce chez certaines familles le sentiment de protection envers l’adulte fragilisé, ce qui rend encore plus difficile le fait d’aborder le travail de réflexion autour de son autonomie, d’autant nous l’avons dit plus haut que familles comme professionnels doivent décrypter, décoder, interpréter. Ces trois mots sont importants.
En recherchant leurs définitions sur WIKIPEDIA, on peut lire :
- Décrypter : traduire en clair (il n’y a qu’une solution)
- Décoder : rétablir le sens de ce qui est codé
- Interpréter : expliquer en rendant clair ce qui est obscur
Décrypter ou décoder semblent être des exercices objectifs :
- CHAMPOLLION a décrypté les hiéroglyphes grâce à la pierre de ROSETTE
- Les élèves apprennent à décoder lorsqu'ils commencent l'apprentissage de la lecture, en se servant de leur connaissance des lettres et des sons.
Mais interpréter rajoute une dimension personnelle, subjective, émotionnelle, parfois même culturelle : donc source d’erreur, source d’incompréhensions et de conflits.
A qui appartient la personne lourdement handicapée ?
A l’institution ? A la famille ?
Et pourquoi pas à lui ?
Cette question porte en elle le poids des représentations que nous avons de la problématique familiale et institutionnelle lorsqu’un enfant est handicapé, plus encore lorsque l’enfant est devenu adulte.
Une problématique qui s’organiserait autour des liens mère-enfant, considéré comme attaché à vie uniquement à sa mère ? Ceci n’est pas le fruit du hasard tant il est vrai que ce couple-là est fortement lié au point parfois de former une enclave dans le paysage familial (sans pour autant ignorer la réalité paternelle).
Au départ nait l’enfant, puis que ce soit dans l’immédiateté de la naissance, ou plus tard au cours des premières années de développement ou encore dans la suite d’un accident de la vie comme cela est pour Yvan, les liens fondamentaux qui l’unissent à ses parents vont être ébranlés par l’annonce, officielle si on peut dire, de l’existence d’altérations fonctionnelles irréversibles chez "leur petit".
La pandémie de COVID-19 et le confinement ont profondément bouleversé la vie des quelques dix millions de personnes handicapées en France. Entre inquiétudes pour leur santé, manque de masques et débrouille, personnes accompagnées, professionnels et familles ont tous rencontrés des difficultés.
Mi-mars 2020, à l’annonce faite par le président Emmanuel Macron du confinement face à l’avancée de l’épidémie de COVID-19 en France, les institutions accueillant des personnes handicapées se retrouvent face à une situation inédite. La décision est prise de confiner les MAS (Maisons d’Accueil Spécialisées) ; les visites sont interrompues. Puis, alors que le confinement s’étire, nous devons faire face à des tensions très fortes et osciller entre l’exercice des libertés individuelles et les contraintes liées à l’exigence de santé collective ; en pensant à la fois aux personnes hébergées présentant des troubles du comportement ou des troubles psychiques et pour qui la situation peut être plus dure à comprendre, et aux familles "privées" de venir visiter leurs proches.
Confinement, distanciation, visites encadrées et limitées dans l’espace et le temps.
Le droit de visite des proches n'est pas une obligation pour celui qui en bénéficie, par contre il appartient à la personne accompagnée d’accepter ou de refuser chaque visite. Et cette question est nouvelle à la MAS Auguste VALATS.
Je rappelle le titre des Journées 2021 : "Viens chez moi, j’habite en établissement". Que je complèterai par : "Viens chez moi SI JE VEUX, mais ne viens pas si je ne t’y autorise pas !".
Le caractère privatif de la chambre est affirmé dans l'arrêté du 26 avril 1999 : "L'espace privatif doit être considéré comme la transposition en établissement du domicile du résident".
La chambre étant le lieu essentiel de l’intimité du résident, il est nécessaire que cet espace privatif soit respecté par tous : les personnels de l’établissement, les familles, les autres résidents
Le dimanche 19 avril 2020, le ministre de la Santé, Olivier VÉRAN, annonçait la mise en place d'un "droit de visite" sous confinement, visites soumises à plusieurs conditions.
Ce droit de visite sera tout d'abord ouvert "à la demande du résident", a-t-il précisé, ajoutant que ce sera sous la responsabilité des directions d'établissement, qui devront dire à la famille lorsque ce sera possible et sous quelles conditions.
Nous verrons tout à l’heure qu’Yvan n’a pas attendu cette annonce ministérielle pour affirmer son autodétermination.
La maman d’Yvan est très proche de son fils, le visitant 3 à 4 fois par semaine, l’appelant au téléphone les autres jours.
Avant la pandémie, personne (ni professionnels, ni proches) ne demandaient à Yvan s’il voulait prendre le téléphone, ou s’il validait une visite.
A savoir : les horaires de visites sont "simplement" déterminés et conseillés en fonction des impératifs de fonctionnement de chaque service (temps des toilettes, des repas et du coucher), et du respect de la vie en collectivité (temps de sommeil, sorties et temps d’animations…).
Pendant les différentes périodes de confinement, l’établissement a suspendu l’accès libre à ses locaux ; les visites ont tout d’abord été arrêtées, pour être ensuite assouplies :
- Visites limitées à 3 fois par semaine avec prise de rendez-vous obligatoire pour les proches et les familles
- Accès aux chambres interdit : les rencontres se font dans une salle dédiée à cet effet, ou dans le parc de l’établissement par beau temps (le résident est accompagné auprès de la famille par les professionnels de la MAS)
De ce fait, la personne accompagnée pouvait désormais s’opposer à une visite, en refusant d’être amené vers ses proches. Ce que fit et fait encore Yvan.
Difficulté pour l’établissement : des échanges entre l’établissement et la maman, entre l’établissement et la personne accompagnée, il est apparu des positions opposées quant à l’analyse du positionnement d’Yvan à exprimer son refus, d’autant que ce dernier "n’ose" pas se positionner face à sa mère.
La maman pense que dorénavant, on lui interdit de voir son fils.
La MAS a interpelé la déléguée mandataire chargée d’exercer une mesure de tutelle auprès d’Yvan, pour "jouer" le rôle de médiateur.
Il a ainsi été établi que le personnel de la MAS informe à chaque fois Yvan des demandes de son entourage à le voir (visites) ou lui parler (appels téléphoniques), et retransmets immédiatement la réponse aux membres de la famille. Dans un courrier de la tutelle adressé à la maman, on lit "Nous précisons qu’en aucun cas, le personnel décide à la place de Monsieur Yvan + NOM ; au contraire, il se fait le relais de celui-ci à chacune de vos sollicitations et ne peut donc être tenu responsable des décisions de votre fils. Ainsi, lors de notre entrevue avec Monsieur Yvan + NOM, il ressort qu’il est important de formaliser les futurs échanges (notamment post confinement) afin que Monsieur Yvan + NOM ne soit plus en position de subir des échanges qu’il ne souhaite pas et puisse rester décideur de vous rencontrer et de vous parler. Cette garantie est renforcée si la personne n’est pas en capacité de s’exprimer, et ne saurait être délégué à un autre membre, même de la famille".
Ceci étant posé, il n’en reste pas moins que l’autodétermination révélée d’Yvan et ce fonctionnement nouveau sont très douloureux pour la maman dans son rôle de proche aidant et aimant. Elle exprime appréhender les appels pour savoir si elle peut venir. Et même si elle dit ne pas penser changer son fils d’établissement où il a ses repères et se sent bien, elle a exprimé qu’ "elle ne se laissera pas faire si on lui interdit de voir son fils et avance peut-être une démarche judiciaire".